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La crise aura-t-elle la peau des tatoueurs?

Caroline Fixelles

Publié le 25-04-2022 à 06h00



Un ours sur l’avant-bras. Florian, 24 ans, s’est fait tatouer il y a un mois. " J’en avais envie depuis mes 16 ans. J’ai franchi le pas car aujourd’hui c’est moins stigmatisant" , raconte le jeune homme, dont 3 de ses amis se sont aussi fait tatouer récemment.

Le tatouage explose en Belgique. Si on parlait de 500000 tattoos en 2017, "on est à plus du double aujourd’hui" , assure Bruno Menei. Dans son salon de tatouage de Rixensart, les peintures témoignent de sa formation aux Beaux-Arts de Rome. Et son accent de ses origines italiennes.

Les people et les réseaux sociaux ont participé à l’essor du tatouage, estime l’artiste de 47 ans. La libération des mœurs et le changement des mentalités aussi. "Le tatouage est un rite de passage, dit Bruno, qui touche toutes les catégories sociales. Il y a 10 ans, c’était destiné aux artistes et aux intellectuels. Il y a 6 ans, j’ai commencé à tatouer des PDG. Aujourd’hui, je tatoue les parents de l’école de ma fille."

Tatouage thérapeutique

Le tatouage n’a pas/plus d’âge. "Hier, j’ai tatoué une dame de 70 ans, raconte Suzanne Quartel, tatoueuse à Liège. Elle a commencé au décès de son mari.Elle revient chaque année, à cette date."

Et la crise sanitaire a eu son influence. "Depuis la pandémie, la demande est verticale", affirme Bruno. Suzanne, alias TattooSuzette, opine: "Le tatoueur est thérapeute.La crise a apporté son lot de souffrances que les gens veulent exprimer par le tatouage.J’ai vu beaucoup de symboles de renouveau dans les tatouages dernièrement." S’il n’y a jamais eu autant de personnes désirant se faire tatouer, le salon de Bruno est vide ce jeudi. "C’est paradoxal, dit celui qui tatoue depuis 27 ans. La demande augmente mais il y a moins de travail dans les shops légaux.En raison de la hausse des tatoueurs clandestins." Ces tatoueurs font "ça chez eux, ne déclarent rien", "achètent du matériel sur Wish", "ne respectent pas les règles" (pièce à part, formation,…).

La crise n’est pas étrangère au phénomène. "Le confinement, la précarité, ont poussé des gens à tatouer pour se faire de l’argent alors que les autres ont dû arrêter" , constate Colin Similon, tatoueur namurois.

Pour Bruno, "si avant le Covid, il y avait 3 tatoueurs clandestins pour un tatoueur honnête, ils sont 8 aujourd’hui".

Concurrence

Suzanne a dû fermer 7 mois durant la crise. "Des clients ont perdu patience et se sont tournés vers ces pseudo-tatoueurs moins chers. Pour un bras complet déclaré, je dois demander 2000 € alors que le tatoueur clandestin le fera pour 500 €. Les gens pensent qu’on roule sur l’or. Mais sur 1000 € déclarés, il me reste 150 €, après les factures,…" Or, dit Colin du salon Black Unicorn, la crise a fait mal aux portefeuilles: "Les grands projets se font rares. Les clients vont au moins cher."

Suzanne déchante: "les gens ne sont pas au courant des dangers. Savent-ils qu’ils risquent une infection, une hépatite? Une dame m’a raconté qu’on lui a rendu l’aiguille utilisée, en lui disant de la ramener pour la prochaine séance. J’hallucine! On doit souvent rattraper des tatouages mal faits, des “peaux cassées”. Je reçois des mails de tatoueurs clandestins me demandant quel voltage mettre sur leur machine! Certains œuvrent depuis des années, en toute impunité."

Nos trois tatoueurs pointent l’absence de contrôles. 74 en 2019, 48 en 2020, 6 au premier semestre 2021.Avec des infractions dans plus de 3/4 des cas (pas d’enregistrement, aiguilles périmées,…).

Dans une réponse à une question parlementaire, le ministre de la Santé justifie la baisse des contrôles par la fermeture durant la crise et la priorité donnée au contrôle des mesures Covid dans l’Horeca.

«La jungle»

"Quand on sait qu’il y a 2000tatoueurs enregistrés – plus tous les illégaux – en Belgique, c’est trop peu , dénonce Bruno, qui est aussi président de l’ASBL Tatouage Belgique. C’est la jungle. On alerte mais on n’est pas entendus. Or, il y a un grave danger pour la santé! Aujourd’hui, il y a peu de possibilités de savoir si tu es face à un tatoueur “honnête”." Florian a trouvé son tatoueur sur les réseaux. "Ca me paraissait pro, ça se faisait dans un salon. J’ai vu des tatoueurs où tu devais prendre rendez-vous sur Instagram, sans lieu fixe." Florian ne signera pas de document de consentement, pourtant obligatoire. "On n’est pas assez informés."

Sur son site, le SPF Santé invite les clients à demander au tatoueur son attestation de réussite de la formation hygiène, qui donne accès au numéro d’enregistrement. Bruno indique à ce propos se battre pour professionnaliser le métier: "Il ne faut qu’une formation d’hygiène de 20h en Belgique! En Italie, ils sont à 600-1500 h de formation." Face à cette concurrence des "illégaux", Suzanne a perdu des clients. "J’ai de la place le mois prochain. Avant, j’étais bookée pour 9 mois!"

Idem pour Bruno: "Dans un shop voisin, il y a 3 guest clandestins (des tatoueurs polonais,…). C’est du dumping social.Ils dorment là 3 jours et repartent. Et ça me fait 15000 € de pertes par mois."

Avec la hausse des prix du matériel, la nouvelle législation sur les encres, les trésoreries brûlées durant le Covid, la situation devient difficile.

"Depuis janvier, il y a eu 5 faillites, note Suzanne. Avec la crise, j’ai reporté des paiements qui arrivent à échéance. Les faillites vont se multiplier. La pratique légale est en danger." S’il n’arrêtera jamais de tatouer, Bruno envisage de se mettre en complémentaire et de devenir enseignant d’art.

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